rfi: Reed Brody: «Le président Bazoum est l’otage d’une junte qui s’en sert comme d’un bouclier humain»

Reed Brody, avocat spécialisé dans les crimes de guerre, est un membre de la Commission internationale des juristes. © RFI

« Les privations de liberté de Mohamed Bazoum et de Hadiza Bazoum sont arbitraires », affirme l'ONU, qui demande la « libération immédiate » de l'ancien président du Niger et de son épouse. Le couple est séquestré à Niamey depuis le putsch du 26 juillet 2023. Aujourd'hui, ce couple retient l'attention du groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire, qui est sous la tutelle du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, à Genève. Comment peut réagir la junte militaire au Niger ? L'Américain Reed Brody appartient au collectif des avocats qui défendent le président déchu.

RFI : Comment réagissez-vous à cette décision du groupe de travail de l'ONU ?

Reed Brody : C'est une grande victoire. Le groupe de travail, après une procédure contradictoire, a rejeté les explications bancales des putschistes et a exigé la libération immédiate du président Bazoum. Il a dit que la détention du président Bazoum et de son épouse est dépourvue de toute base légale et viole le droit international. Donc je pense que, venant de l'ONU, c'est une décision qui a beaucoup de force. La junte a quitté la Cédéao, mais je la vois mal quitter l'ONU.

À l'origine de cette décision, il y a donc un mémoire que votre collectif d'avocats a adressé à l'ONU. Celle-ci a alors envoyé un questionnaire aux autorités du Niger. Qu'est-ce que ces autorités ont répondu ?

Elles ont dit que le président Bazoum complotait avec les ennemis du Niger sous le couvert de la Cédéao pour déstabiliser le pays. Mais le groupe de travail a répondu, en fait, que si tel était le cas, il fallait inculper le président Bazoum. Je rappelle que cela fait 18 mois que le président Bazoum et sa femme sont détenus sans inculpation, dans des conditions extrêmement difficiles, enfermés dans une aile isolée de la résidence présidentielle. Mais il n'y a aucune charge qui pèse contre eux. Donc le groupe de travail a bien vu qu’il n'y avait pas de base qui justifiait leur détention.

D'ailleurs, il faut dire que le groupe de travail s'est dit « préoccupé » par les conditions mêmes de leur détention et ils sont d'ailleurs enfermés à seulement quelques dizaines de mètres de leur geôlier, le général Abdourahamane Tiani. Donc on peut dire que le président Bazoum est l'otage d'une junte qui s'en sert comme d'un bouclier humain. Et depuis la confiscation de son téléphone en octobre 2023, ils sont privés de tout contact avec le monde extérieur, y compris leur famille et nous, leurs avocats. Avant, je pouvais parler avec le président Bazoum, d'ailleurs, j'en ai profité pour le connaître un peu sa détermination, son engagement. Mais depuis octobre 2023, il n'y a qu'un médecin qui leur rend visite pour apporter la nourriture et des médicaments. Sinon rien.

Alors le groupe de travail de l'ONU demande la libération de Mohamed Bazoum et de son épouse, mais il n'a évidemment aucun moyen de contrainte. Comment peut-il convaincre les autorités militaires de Niamey de donner suite à sa requête ?

C'est vrai que nous sommes face aux gens qui bafouent le droit international. La junte a déjà ignoré la décision de la Cour de justice la Cédéao. Mais le monde observe, et un refus de se conformer à cette injonction onusienne ne ferait qu'aggraver l'isolement des putschistes. Il y a d'ailleurs une procédure de suivi. Le gouvernement du Niger doit informer le groupe de travail des mesures prises pour se conformer à la décision. Il y a un vice-président du groupe de travail qui est chargé du suivi et le groupe de travail pourrait informer le Conseil des droits de l'homme de l’ONU des mesures prises par la junte.

Est-ce qu'il y a des précédents, c'est-à-dire des prisonniers politiques qui ont été libérés, grâce, notamment, à l'action de ce groupe de travail de l'ONU ?

Ah oui, il y en a des centaines dans le monde. Je pense à mon ami Michel Thierry Atangana au Cameroun, que vous connaissez, qui avait passé 17 ans en prison. Il y a une décision du groupe de travail fin 2013 qui a demandé sa libération et celle de Titus Edzoa et ils ont été libérés en février 2014. Il y a aussi le cas de Karim Wade au Sénégal. Il y a une décision du groupe de travail en 2015, il a fallu attendre 2016 pour qu'il soit libéré. Il y en a beaucoup.

Est-ce à dire que cette instance de l'ONU peut être écoutée par le régime militaire de Niamey ?

Nous l'espérons. Ce sont des putschistes qui n'ont pas beaucoup respecté le droit international, mais je crois qu'ils ne veulent pas s'isoler à ce point que de bafouer une décision, une injonction de l'ONU. Et le Secrétaire général des Nations unies et le Haut-Commissaire des droits de l'Homme demandent la libération du président Bazoum. Donc, on doit espérer que le droit puisse quand même prévaloir.

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Bloomberg News: UN Panel Urges Niger Junta to Release Detained President

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AFP: L'ONU dénonce la détention "arbitraire" du président déchu Bazoum au Niger